Bonsoir,
Je ne conteste pas le fait que ce douzain contre-marqué a circulé en Nouvelle-France. Je ne peux vous blâmer car j'ai aussi lu la même chose que vous dans plusieurs ouvrages. Il y a parfois une mauvaise interprétation des faits quand une recherche historique est faite dans un domaine précis sans tenir compte du contexte historique de l'époque. La réponse n'est pas simple ni courte. Je vais tenter d'apporter quelques précisions avec des sources cette fois-ci.
L'édit de 1640 a été fait sous Louis XIII lors de la refonte du système monétaire. J'y reviens plus loin. Il y a eu aussi des édits sous Louis XIV et certains édits concernaient la monnaie des colonies françaises. Quand Louis XIII mourut en 1643, Louis XIV n'avait que 4 ans et demie. Il a été déclaré majeur en 1651 et il a été sacré roi en 1654. Ce n'est qu'en 1661 que Louis XIV prend personnellement contrôle du gouvernement et qu'il fit arrêter Nicolas Fouquet, surintendant des finances. Fouquet est remplacé par Colbert en 1665 et le règne personnel de Louis XIV a commencé à ce moment là. Les édits de Louis XIV concernant le monnayage eurent lieu à partir de 1658.
Regardons d'abord la population de la Nouvelle-France de 1608 à 1653.
1608--Québec fondé.--28 colons hivernant, y compris Champlain.
(Champlain., Edition Laverdière, tome III, page 173.)
1613--St. Jean de Terreneuve fondé.--62 hivernants laissés par Whitburn.
(The British Empire in America, Vol. I. Page 7.)
1620--Population de Québec : 60 personnes.
(Champlain' Edition Laverdière, tome VI, page 8.)
1622--Hivernants avec le Capitaine Wynn, à Terreneuve, 32 personnes.
(The British Empire in America, Vol. I, pages 10 & 11.)
1628--Population de la Nouvelle-France, y compris 20 Français et le Missionnaire revenant du Pays des Hurons : 76 hivernants.
(Champlain, Edition Laverdière, tome VI, pages 205 & 231.)
1629--Après la prise de Québec, il hiverne environ 117 personnes, dont 90 Anglais de l'expédition de Kertk.
(Champlain, Edition Laverdière, tome VI, page 320.)
(Relations et Registres Paroissiaux du temps.)
1641--La population sédentaire de la Nouvelle-France n'était encore que de 240, fin d'année.
(Dollier, Edition 1868, page 31.--Relation de 1642, page 36.)
1653--Population de la Nouvelle-France, environ 2000 personnes.
(Mère Marie de l'Incarnation.--Lettres Historiques XLVIII.)
Source: Statistiques Canada
http://www.statcan.gc.ca/pub/98-187-x/4064812-fra.htmLa contremarque du douzain sous Louis XIII a été frappée à partir de 1641 alors qu'il n'y avait que 240 personnes qui vivaient en Nouvelle-France. Il serait insensé que l'édit de 1640 eut été fait pour les monnaies coloniales. D'ailleurs, voici un extrait de l'édit de 1640 qui ne fait aucune allusion aux colonies françaises. C'est en vieux français de 1658 mais c'est assez facile à lire. La section qui concerne l'édit de 1640 débute avec "Et afin d'empêcher qu'on ne billonnait lesdites especes d'or".
Source: Traité de la cour des monnoyes et de l'estendue de sa juridiction.
Germain Constans, Paris chez Sebastien Cramoisy, 1658, p.315
https://books.google.ca/books?id=Ku6uvI ... &q&f=falseVoici ce que Gadoury dit sur cette pièce.
Référence de monnaie 21.
Quinze denier(douzain contremarqué).
Cours légal 15 deniers tournois, fabriqué conformément à l'ordannance de juin 1640. Contremarqués d'une fleur de lis. Frappé en petite quantités, utilisé sur divers monnaies de billon antérieures au règne de Louis XIII.
Il faut savoir que le nouveau système monétaire était basé sur l'or et que la référence était une nouvelle pièce: le Louis d'or. Comme la valeur des pièces d'argent était basée sur le poids en argent, la contremarque permettait au roi d'utiliser moins d'argent pour une pièce de plus grande valeur. Cette contremarque, une fleur de lys à l'intérieur d'un ovale perlé, était le résultat d'un stratagème de dévaluation des pièces de circulation qui avait été orchestré par le surintendant des finances Claude de Bullion. La contremarque indiquait que cette pièce vaudrait dorénavant 15 deniers. Pour ainsi dire, les douzains d'Henri II, III, et IV contremarqués qui sortaient des coffres du roi Louis XIII avaient la valeur de quinze deniers. Les pièces qui étaient en possession des ducs, des barons, des seigneurs et des marchands n'avaient que la valeur nominale de douze deniers. Ces pièces ont été contremarquées à partir de 1641 et elles ont été très impopulaires en France et elles le furent tout autant quand elles arrivèrent dans les colonies.
Claude de Bullion est décédé en décembre 1640. Son épouse Angélique Faure, dame de Bullion, a hérité de sa fortune. Angélique Faure a par la suite financé des causes qui lui étaient chères. Parmi celles-ci, il y avait la cause d'une certaine Jeanne Mance qui avait quitté sa France natale au printemps 1641. L'année suivante, Jeanne Mance était du groupe qui accompagnait Paul de Chomedey de Maisonneuve pour fonder Ville-Marie. La rue "De Bullion" à Montréal a d'ailleurs été nommée en l'honneur d'Angélique Faure, dame de Bullion.
De 1641 à 1653, la population de la Nouvelle-France a passé rapidement de 240 à environ 2000 personnes. Quand Louis XIV pris le contrôle de son royaume en 1665, il y avait 3215 personnes en Nouvelle-France. La proportion d'hommes avait augmenté subitement avec l'arrivée du régiment de Carignan-Salières en 1665. Peu après, il y eut l'arrivée massive des Filles du Roy. En 1673, la population avait doublé et elle a atteint 10,000 personnes entre 1681 et 1683.
Il y a eu des édits de Louis XIV qui visaient aussi à dévaluer l'argent circulant dans les colonies. Au début des années 1660, la pièce d'un dernier valait 2 deniers en Nouvelle-France. Les marchands y trouvaient là un source rapide de profits et ils en importaient beaucoup. Le denier a été banni par le Conseil Souverain de Québec en 1664. On a conservé la pièce de 2 deniers et elle ne valait plus qu'un seul dernier en Nouvelle-France alors qu'elle en valait 4 deniers avant l'ordre du Conseil Souverain. Le liard est également passé de 6 deniers à 2 deniers en 1664. Ces pièces n'avaient pas de contremarque.
Ta traduction est exacte: "Les premières issues monétaires coloniales du nouveau monde étaient des vieux douzains recyclés". On parle ici des premières monnaies coloniales, c'est à dire une monnaie qui a été frappée pour les colonies. Il y a d'abord eu une tentative de pièce coloniale de 2 deniers frappée à Paris dite "DOUBLE DE L'AMERIQUE FRANCOISE 1670-A". Cette pièce n'a pas été émise en circulation. Un édit de Louis XIV du 19 février 1670 permettait l'émission de 2 pièces d'argent pour la Compagnie des Indes Occidentales en Amérique. Les pièces de 5 sols et de 15 sols sont les premières pièces coloniales émise spécifiquement pour les colonies françaises d'Amérique. Ce sont les pièces listée dans le catalogue Breton aux nos 501 et 502.
Pièces de 15 sols et de 5 sols de 1670.
Source: Histoire monétaire des colonies françaises : d'après les documents officiels... / par E. Zay,...
Zay, Ernest (1830-1909). Éditeur: J. Montorier (Paris) 1892, p.41
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5575098d/f48.imageL'édit de Louis XIV du 18 novembre 1672 a dévalué les pièces de 5 sols et de 15 sols d'Amérique. La pièce de 5 sols fut portée à 6 sols et 8 derniers; et la pièce de 15 sols fut portée à 20 sols. Il n'y a pas eu de contremarque sur ces pièces car elles avaient cours légal uniquement dans les colonies. Il faudra attendre à l'année 1717 sous Louis XV pour que d'autres pièces soit frappées pour les colonies.
Source: Histoire monétaire des colonies françaises, p.46.
La plupart des pièces d'usage en France ont circulé en Nouvelle-France. Sous Louis XIV , le premier douzain a été frappé en 1658. Quelques mois après avoir été mis en circulation, un édit portait sa valeur à 15 deniers. Il n'y a pas eu de contremarque.
Douzain Louis XIV 1658
Il n'y a pas eu de douzain Louis XIV frappé après 1658. Le premier quinzain Louis XIV étant le douzain de 1658, il a fallu attendre jusqu'à 1692 avant qu'on débute la frappe une nouvelle pièce de 15 deniers. C'est le quinzain Louis XIV aux 8 L couronnés avec 4 fleurs de lys.
Quinzain Louis XIV 1692 M Toulouse
C'est à partir de 1692 que cela se complique un peu pour les contremarques.
Les flancs neufs sur lesquels le quinzain a été frappé à partir de 1692 avaient le même poids et la même dimension que les anciens douzains. Il a été décidé de réutiliser également les vieux douzains comme flanc. On se retrouve alors avec des quinzains frappés sur des flancs neufs, surfrappés sur des vieux douzains, et surfrappés sur des vieux des douzains qui ont la contremarque de 1641.
Sur le quinzain Louis XIV 1692 ci-dessus, on voit encore les trace de l'ancien douzain. Sur le quinzain Louis XIV 1692 ci-dessous, on distingue vaguement la croix et des brides de l'ancien douzain. On voit nettement la contremarque de 1641.
Quinzain Louis XIV 1692 avec contremarque de 1641.
Pour ainsi dire, il est possible d'avoir trois pièces en une. Par exemple, un quinzain Louis XIV 1695 surfrappé sur un douzain Louis XIII contremarqué de la fleur de lys sur un douzain Henri II, III ou IV.
Il y a eu par la suite plusieurs dévaluations de la monnaie autant en France qu'en Nouvelle-France. À un moment donné, les pièces de 15 deniers ont vu leur valeur être portée à 20 deniers sans pour autant être contremarquées.
Cette pièce de Henri II 1549 a la contremarque faite en 1641. C'est un très bel exemplaire de cette pièce. Vous comprendrez que les pièces contremarquées sont plus rares parce que ces pièces ont été surfrappées massivement à partir de 1692 pour fabriquer les quinzains Louis XIV. Les rares exemplaires que nous trouvons ici sont tous venus avec les nouveaux arrivants.
Dan